«Les usages que font les enfants des espaces publics se sont grandement transformés»

Par Alice Colmart

publié le 7 févr. 2023

Article

Urbanisme

Clément Rivière, maître de conférences en sociologie à l'Université de Lille, auteur de Leurs enfants dans la ville. Enquête auprès de parents à Paris et à Milan (Presses Universitaires de Lyon), expose son regard sur le rapport de l'enfant à la ville.

Comment se fabrique le rapport de l'enfant à la ville ? 

Il est indispensable de ne pas penser les enfants de manière monolithique, dans la mesure où leurs expériences de la ville sont très différentes selon leur âge, leur sexe, mais aussi selon les ressources dont disposent les familles au sein desquelles ils grandissent. Il est en effet essentiel de comprendre que le rapport des enfants à la ville se construit dans le cadre familial, en lien avec les pratiques d'encadrement mises en oeuvre par les parents. Ceux-ci vont transmettre différentes normes, différents comportements à avoir.

Certains enfants vont par exemple avoir un temps extrascolaire très investi lorsque d'autres en auront très peu, laissant ainsi plus de temps pour le jeu libre. Selon les caractéristiques du logement (taille, densité d'occupation) les enfants joueront plus ou moins souvent à l'extérieur de chez eux.

Le temps passé par les enfants dans les espaces publics a diminué, de même que leur rayon de mobilité autonome.

Pour le dire de manière synthétique, les «sociabilités d'intérieur» sont beaucoup plus caractéristiques des enfants dont les conditions de logement sont confortables. Par ailleurs, dès la puberté, les filles et les garçons ne sont plus vus de la même façon par leurs parents. Ces derniers vont en effet exercer davantage de contrôle sur les sorties de leurs filles et leur transmettre des recommandations en vue de les protéger de dangers spécifiques qu'ils anticipent.

Pourquoi les enfants passent-ils de moins en moins de temps sur l'espace public ?

Au cours des dernières décennies, le temps passé par les enfants dans les espaces publics a diminué, de même que leur rayon de mobilité autonome. C'est en partie lié à la diffusion massive des automobiles, qui a accru les risques d'accidents. Aussi, de par le stationnement, les voitures ont pris la place d'espaces de jeu libre.

Et puis, la pollution atmosphérique n'incite pas vraiment les parents à les laisser jouer dehors. Les normes de bonne parentalité ont elle aussi évolué. Globalement, le regard porté sur les enfants a changé, ils sont davantage perçus comme des êtres fragiles et vulnérables à protéger.

Il y a des choses à penser en vue de créer ou de renforcer les liens d'interconnaissance, notamment entre parents, à l'échelle des quartiers de résidence.

Parallèlement, nous avons constaté une montée de la visibilité des enlèvements d'enfants dans les médias, ce qui vient accroître cette tendance. Les usages que font les enfants des espaces publics se sont aussi grandement transformés du fait de l'histoire des progrès techniques.

Nous disposons par exemple aujourd'hui de nombreux moyens technologiques à domicile, tels que les smartphones ou encore les ordinateurs. Certains enfants peuvent ainsi passer leur week-end à jouer en ligne avec leurs amis plutôt que de sortir pour les voir.

Comment les villes peuvent-elles se réadapter ?

Je tiens à souligner le caractère fondamentalement politique d'une démarche visant à redonner davantage de place aux enfants dans la ville. Créer des espaces de réflexion et de débat en essayant de faire participer les enfants peut en effet conduire à repenser la ville de manière assez profonde. Ce qui ne pourra se traduire dans les faits que si cette démarche bénéficie d'un soutien large dans les villes concernées.

Repenser la place dans la voiture semble bien entendu incontournable, mais mon travail m'invite aussi à souligner le rôle central que jouent les commerces de proximité, qu'il convient donc de préserver, dans la réassurance des parents. Enfin, il y a des choses à penser en vue de créer ou de renforcer les liens d'interconnaissance, notamment entre parents, à l'échelle des quartiers de résidence.

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